Galerie de la Scep

Les Artistes Anita Molinero

art

Anita Molinero, Née en 1953 à Floirac. Vit et travaille à Paris. Issue de l'École supérieure des Beaux-Arts de Marseille.

Anita Molinero : un manifeste privé Entretien réalisé par Alain Berland et Valérie Da Costa Paru dans Particules n°22, Décembre 2008 / Janvier 2009 Éviter la virtuosité, la facilité ou encore le commentaire, voilà le programme très peu commun que s'est fixé dès le début de son travail Anita Molinero. Un Projet qu'elle mène avec obstination depuis trente ans pour construire une œuvre qui n'a pas d’équivalent sur la scène artistique française. Pendant mes études aux Beaux-Arts, je peignais, mais je n'étais pas très douée pour la sculpture et la technique. Je me suis alors dit que l'inconnu de l'art devait certainement passer par la confrontation à celles-ci. C'était un petit manifeste très privé, fait de négations, portant sur les conditions que l'on se donne pour arriver à faire quelque chose qui soit suffisamment nouveau et devienne un jour une création. Je ne voyais pas comment faire autrement au début des années 80, une période où l'on était envahi par l'art conceptuel du genre « trois écritures au crayon sur un mur ». Une forme d'art qui se présentait comme impersonnelle, mais que je trouvais paradoxalement très narcissique. Je voulais faire le contraire des conceptuels : prendre des outils sans savoir à quoi ils servent tout en les utilisant avec précision. J'ai fait alors des montages de petits cartons que je vernissais après coup avec de la colle à papier peint puis que je montais sur n'importe quoi ou encore des sacs poubelles que je remplissais de plâtre et que je travaillais avec une gouge à bois. Je me rappelle qu'à l'époque les conditions artistiques étaient aussi celles de la post-modernité, de la défaite des idoles. Moi, je ne croyais pas à la forme, ni à son contraire, c'est-à-dire à la culture du message. J'ai rapidement trouvé des relais auprès d'Yves Michaux qui m'a fait connaître David Hammons. Mais ce dernier avait une culture de la minorité que je n'avais pas, sauf si on admet que la somme des conventions des normalités fait minorité pour l'art, c'est-à-dire je suis mère de famille, je suis prof, je vis en province... Une situation qui fait minorité pour le milieu de l'art. ÉVITER LE COMMENTAIRE C'est par élimination que j'ai fini par appeler sculpture ce que je fais. Il n'y avait pas d'autre choix. Je ne voulais pas nommer cela « art » ou « installation ». Je trouve formidable la phrase de Boris Groys dans son livre Le Post-scriptum communiste qui dit que l'art qui ressemble à de l'art ne peut pas être de l'art. Pour moi, tout l'art du commentaire dans lequel on est actuellement m'emmerde. Beaucoup d'artistes ne font qu'interpréter et revisiter avec des petites nuances. C'est de l'art qui ressemble à de l'art et puisqu'il a déjà été de l'art, il s'en éloigne forcément. Alors, quelle est la partie de non art dans ce que je fais ? Pour les poubelles par exemple, les gens me disent que cela ressemble trop à des poubelles. Non. Elles sont des poubelles, elles ne peuvent ressembler qu'à ce qu'elles sont ; c'est ça ma garantie. Je tiens à ce qu'on les reconnaisse, c'est significatif de quelque chose qui est la poubelle et pas de l'art. Je me suis protégée de l'art du commentaire ou du projet en utilisant très peu d'idées. Je n'ai pas de projet pour mes expositions. Je sais avec quoi je veux travailler, mais pas quelles sculptures cela va donner. J'improvise en faisant les sculptures sur place. Je découvre ainsi soixante pour cent du travail en le faisant. C'est toujours un risque, mais je ne veux pas faire autrement. Le plus difficile, c'est d'arrêter le geste avant que la pièce ne devienne une flaque, de la lave ou son propre commentaire. Cela doit rester identifiable. J’arrête avant l'informe et parfois la pièce est terminée avant d'être commencée. La sculpture doit rester forme et ne pas aller dans l'informe. J'ai tout tripoté. J'ai fait des petites terres avec des cartons, mais je me suis aperçue que j'allais dans l'informe, dans la complaisance du geste, du «beau geste». J'ai alors cessé car je trouvais cela trop curieux et précieux. Je voudrais refaire des petites sculptures, ce que j'appelle des sculptures de cheminée un peu venimeuses. J'en ai réalisées pendant vingt ans, mais je crains de ne pas réussir à retrouver le charme. J'aimerais qu'elles aient la force de mes grosses sculptures, mais c'est difficile car je travaille à l'échelle 1, sans réduction ni agrandissement. Or, «le petit» nous attendrit. C'est rapidement une sculpture «doudou» à échelle 1. «Le petit», c'est vite «rien» et je me méfie de ce «rien» magnifié. Je travaille depuis quatre ans avec deux assistants, mais je ne délègue pas. Ils sont là et j'y suis aussi. Je tourne autour de la pièce et je donne les consignes que souvent ils anticipent car on se comprend très bien. Je fonctionne sans dessin, après toutes ces années, le stock d'images est dans ma tête et les indications passent par la langue. C'est une langue très imagée et très sexuelle. Je leur dis : «Alors, vous me faites des bites». C'est très codé, c'est le langage de l'atelier, de l'action à mener (pas celui de l'exposition). En sculpture, depuis toujours, on parle de défonce. Je préserve ma sculpture en empruntant parfois la voie du ratage. Lorsque je trouve qu'une sculpture n'est pas réussie, je la jette, mais en même temps, j'ai un peu peur de ce geste. SE FAIRE VIOLENCE J'ai détruit quinze ans de création, ce qui a peut être été un avantage, mais dur à vivre. La dernière sculpture porte probablement toutes les autres. J'ai manqué de «professionnalisme» en archivant très peu ou mal mon travail. Depuis quelques années, on s'en occupe à ma place. J'accepte le procédé. Parfois, j'ai l'impression que ce que je pensais avoir raté ou réussi n'est qu'un rêve, une projection fantasmatique. Si on me dit que mon art est masculin, c'est tout simplement parce qu'il n'est pas féminin. Quand la scène artistique s'est ouverte aux femmes, elle s'est engagée avec la complicité des hommes sur la voie de l'intimité et des représentations féminines. Cet aspect ne m'intéresse pas. Mon art n'est pas masculin comme par exemple celui de Dewar & Gicquel, il ne se sert pas des attributs du masculin, des activités comme la boxe, la batterie, la pêche. Mais si on veut, on peut dire que ma sculpture est virile. La confrontation à la matière y est directe et violente. Mon grand modèle est Rodin, je trouve extraordinaire les orbites des yeux du Balzac, c'est la première grande sculpture moderne. C'est vrai qu'il y a peu de femmes sculpteurs qui se confrontent aussi violemment à la matière. Parfois j'ai envie de citer d'autres artistes que j'admire comme Bernard Réquichot ; je le contiens, mais je ne le cite pas. Ce n'est pas pareil de contenir un artiste, de le commenter, ou de le citer. Commenter implique une distance que je ne veux pas avoir, et lorsque je la perçois chez les autres ça m'ennuie profondément. C'est précisément de l'art qui ressemble à de l'art. J'essaie de faire de l'art qui sorte de l'entre-soi tout en refusant de faire quelque chose qui séduit le public, qui devienne un «procès au monde». Ce n'est pas évident, mais cela laisse beaucoup de place à l'objet. Je ne supporte pas la énième peinture minimaliste un peu écornée. C'est un plaisir d'érudition. Quel choix possible y a-t-il en dehors de cela ? Celui de l'action politique qui positionne le spectateur, mais ça, ça ne m'intéresse pas non plus. Je suis persuadée que l'art doit contenir du politique, mais pas s'en servir. J'ai des préoccupations qui ne sont pas forcément des «opinions» sur mon époque. Je nomme souvent mes pièces a posteriori, et quand je les qualifie de «post-Tchernobyl», c'est de manière rétroactive. Maintenant, je donne des titres à mes sculptures, mais le titre a longtemps été l'objet d'une réflexion car titrer les œuvres par un concept, c'était leur enlever beaucoup de leur qualité énergétique. C'était les encadrer, les précéder. C'était aussi trop présent. J'ai donc évacué cela. Et puis une sculpture en donne une autre. Je me suis dit qu'un titre devait avoir la force d'un prénom. Finalement, je les ai peu à peu appelées par ce qui est l'équivalent d'un prénom, qui n'a aucun sens s'il n'est pas porté. Elles ont d'ailleurs des titres que j'oublie la plupart du temps. Pour les plots de chantier, je prends le nom de l'entreprise que je détourne et améliore. Cela part aussi de fautes de frappe, de défauts de prononciation. Ce sont des noms de baptême, mais j'ai mis du temps à les trouver. Les poubelles sont les seules à ne pas avoir de titres car j'aime dire «les poubelles», «Tiens on ressort les vieilles poubelles». TRAVAILLER AVEC DES MATÉRIAUX ORDINAIRES Je ne crée pas par série. Je dirai plutôt qu'il y a des genres sur lesquels je reviens. Depuis 1995, j'adore travailler le polystyrène qui me rappelle des matériaux pérennes comme le bronze car tu ne t'en débarrasses pas. Dans les années 90, ce n'était pas bien reçu de travailler ce genre de matériau car l'art qui circulait et se vendait, peut-être, était, paradoxalement, un art de l'éphémère qui avait les qualités de la précarité, mais avec une plus-value symbolique. Pourtant, quand on adore une pièce de Filliou faite d'un balai et d'un seau, c'est aussi précaire et mélancolique qu'un polystyrène avec des chaînes de vélo. Le vide visuel est peut-être plus difficile à saisir. Il faut donc construire un mythe autour de cela. Lors d'une exposition à Tours, un collectionneur m'a insulté en voyant mon travail. Ce jour là, j'ai compris pourquoi je faisais de la sculpture. On peut mettre n'importe quoi sur une toile, les gens ne sont quasiment pas choqués car le cadre est fixé, mais ce pauvre objet (c'étaient deux plots de chantier) que je présentais, et qui n'avait en soi aucune signification violente, ne pouvait pas être regardé car il était lui-même violent. Le tableau est toujours possible alors que la sculpture se situe plutôt du côté de l'impossible, du difficile sans doute parce que du côté du réel. La présence du contemporain se situe selon moi dans la sculpture et j'ai toujours cherché intervenir sur la matière. Le ready-made reste à mon sens un moment de génie et comme tout moment de génie, il est inutile de le reproduire. Tous ces artistes qui refont cela aujourd'hui, c'est une plaisanterie. J'appelle cela de «l'art loisir et création». Lorsqu'on va voir les ready-made de Duchamp, on a vraiment besoin de fétichisme sinon on ne les regarde pas. On fait un petit pèlerinage pour voir une relique. Et là, on se rend compte de l'ampleur du montage (celui du musée) comme quand on va voir une relique avec tout ce que cela comporte. La relecture du ready-made de Duchamp n'a donc même pas la pauvreté, l'audace de la relique. Duchamp, lui, était très juste dans ses choix. Il ne s'est pas trompé. J'ai appris avec Duchamp, mais j'ai compris avec Degas (la danseuse) qui tout de même habille un bronze excrémenteux d'un jupon de tulle. C'est en regardant des films de science-fiction comme Terminator que j'ai vu la sculpture que je faisais. Le mur de Vénilia vient de là ; c'est le passage du liquide au solide. C'est du morphing fait à la maison ! En faisant les poubelles, j'ai pensé aux Aliens. La science-fiction se situe pour moi dans la poubelle, c'est une science-fiction organique, pas technologique. Je pense que je fais une œuvre qui se répète. Les poubelles, par exemple, j'en ferai toute ma vie. C'est un peu comme Rodin qui a fait toute sa vie les mêmes gestes avec des sujets différents. La répétition, ce n'est pas la même chose que de faire système. Je ne pourrai jamais faire d'environnements contrairement à Jessica Stockholder qui est une artiste de la conquête. Moi, je suis une artiste du sillon, je creuse ce que je fais. J'aime la démesure et je n'aime pas les choses installées qui donnent un aspect petit-bourgeois. Je veux travailler avec des matériaux ordinaires, toujours trouvables à côté de chez soi. J'ai récemment réalisé des sculptures avec une table d'accouchement, des déambulateurs et des fauteuils roulants. Ce sont des objets qui nous laissent sur place. Ils nous sidèrent et nous obligent à nous fixer. Ils s'opposent à la fluidité, à la rapidité.Par rapport à l'unité de la sculpture, leurs mesures ergonomiques sont justes. Et puis la vieillesse, c'est probablement le prochain âge créatif et obscène. La psychanalyse, comme l'art, fait apparaître ou disparaître des diagnostics, des comportements. Lorsque je parle d'hystérie à propos de mon travail, c'est à travers des rencontres, des coïncidences intellectuelles. Je me suis demandé quelle était la figure la plus appropriée à l'art que je faisais, et l'hystérie m'a fascinée car on dit que c'est un état qui pousse hors de soi. Elle n'est plus trop évoquée aujourd'hui, mais ses anciennes représentations montrent des corps figés s'apparentant à de la pierre. C'est pour cela que j'aime faire cette analogie. Je fige de l'énergie, il faut donc que ça sorte de soi, que ce soit jubilatoire.

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